Dans une salle impersonnelle du tribunal administratif de Paris, Farid, 27 ans, joue sa dernière carte pour rester en France. Menacé d’expulsion après le rejet de sa demande de régularisation, il assiste, silencieux, à une audience expéditive où se joue bien plus qu’un simple recours juridique : la possibilité de continuer à vivre ici. Derrière la mécanique froide de la justice administrative, ce sont des vies entières qui basculent en quelques minutes.
Les murs sont d’un blanc terne, éclairés par une lumière froide qui accentue l’atmosphère pesante. Le sol en PVC, impersonnel, absorbe les pas pressés des avocats. Ici, au tribunal administratif de Paris, pas de boiseries massives, pas de symbole de justice triomphante, mais un espace fonctionnel, aseptisé, où tout semble conçu pour traiter les dossiers vite et sans bruit.
La salle est presque vide. Quelques bancs alignés, une estrade surélevée où le juge prendra bientôt place. Pas d’effervescence, pas de tension palpable comme dans un procès pénal. Ici, on ne juge pas des crimes, juste des destins.
Le requérant est assis au premier rang. Mains jointes, dos droit, regard figé sur la table devant lui. Il s’appelle Farid, 27 ans. Algérien. En France depuis trois ans, il travaille au noir sur des chantiers. Il a fait une demande de régularisation rejetée il y a six mois. La préfecture lui a signifié une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), comme près de 140 000 personnes par an selon le directeur général de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII).
Farid joue ici son ultime recours. Son OQTF s’accompagne d’une interdiction de retour de trois ans, une mesure appliquée dans plus de 36 % des cas, selon le ministère de l’Intérieur. S’il perd aujourd’hui, il devra partir. Et les chiffres ne jouent pas en sa faveur : seuls 37 % des recours contre une OQTF aboutissent à une annulatio
Un dossier parmi tant d’autres
« Ici, tout va très vite. Une audience dure rarement plus de 20 minutes, parfois 10. Tout se joue en quelques phrases », confie l’avocat du prévenu avant l’audience. Une affirmation qui se confirme lorsque le juge entre en ne levant pas les yeux et parcourt les documents comme s’il les connaissait déjà. Son regard passe des pages à son écran. Silence glacé.
L’avocat de Farid parle vite. Chaque seconde compte. Il plaide l’insertion de son client, son emploi, ses attaches en France. Il évoque des promesses d’embauche, des témoignages, des démarches en cours. Farid écoute, crispé. Puis vient le tour du représentant de la préfecture.
Quelques phrases, des références aux textes de loi. « Absence de titre de séjour », « aucun élément justifiant un maintien sur le territoire ». Une voix neutre, détachée. La présence de Farid semble presque accessoire
Le poids d’un silence
Le juge ne pose aucune question, referme son dossier. « Décision mise en délibéré. Vous serez informé par courrier. » Et c’est terminé. Farid reste figé un instant. Il jette un regard à son avocat, comme s’il attendait un signe, une ouverture, un miracle. Mais l’homme en robe noire range déjà ses affaires, ramasse son code de l’entrée et du séjour des étrangers avant d’esquisser un hochement de tête fataliste.
Dans cette salle impersonnelle, il ne s’est rien passé, et pourtant, un homme vient peut-être de perdre sa vie en France. Aucune émotion, aucun drame éclatant, juste une procédure expéditive.
En 2024, moins de 15 % des OQTF prononcées ont été exécutées selon l’OFII. Mais pour Farid, la réalité est plus brutale : son refus signifie qu’il n’aura plus aucun espoir de régularisation pendant trois ans. Plus de recours possibles, plus de perspectives, juste la certitude que chaque contrôle de police pourrait être le dernier avant l’expulsion.
Farid se lève lentement et sort. A-t-il encore un espoir ? Dehors, le vent souffle fort sur les tours de verre du tribunal. Un air froid, presque administratif, comme un avant-goût du départ.