À Saint-Denis, face à l’explosion de la précarité, l’épicerie solidaire Marhaba lance un appel à l’aide. La supérette peine à remplir ses rayons et des familles démunies se retrouvent sur liste d’attente.
Les produits sur les étals de l’épicerie solidaire Marhaba à Saint-Denis sont soigneusement répartis de façon à ce qu’ils occupent l’entièreté des rayons. Les biens trop grands espaces entre les produits révèlent l’absence de leurs voisins. “Est ce que je peux le prendre”, s’inquiète une bénéficiaire de l’épicerie en voyant que le lait en poudre qu’elle convoite est le dernier en rayon. “Oui bien sûr, allez-y” s’empresse de lui répondre Sauhade Ezbatti, directrice générale et fondatrice de l’association, avec un sourire encourageant.
Rassurante et accueillante, c’est l’image que l’association s’efforce de renvoyer aux clients. Un panneau “Welcome to Marhaba” sur un faux mur végétalisé décore l’entrée de l’épicerie. Mais cette façade cache une réalité économique préoccupante. Ici, les produits sont vendus à bas coût. Les prix sont en moyenne 70 % inférieurs à ceux d’un commerce traditionnel. L’épicerie achète et vend à perte afin de permettre aux plus démunis de se nourrir. Sans subventions ou dons, ce modèle vertueux pourrait être remis en cause.
<< On est de plus en plus sollicités mais nos rayons sont de moins en moins remplis >>
“Le nerf de la guerre, c’est l’argent !” lance Nelly Debert, bénévole à l’épicerie. Cette mamie rock, qui arbore fièrement son tatouage de Johnny Hallyday, est remontée. “On est de plus en plus sollicités mais nos rayons sont de moins en moins remplis…” se désole-t-elle. L’argent manque cruellement à l’épicerie et faute de moyens, des familles ne peuvent pas franchir la porte de la supérette. « On a 137 demandes, mais malheureusement, on ne peut pas recevoir toutes les familles… Donc elles sont sur liste d’attente », déplore Sauhade.
L’épicerie connaît une forte augmentation des demandes ; une situation qui n’est ni nouvelle ni isolée. Depuis la crise de 2008, le nombre de bénéficiaires d’associations d’aide alimentaire a plus que triplé selon une étude réalisée par l’institut CSA. En 2022, 2,4 millions de personnes ont été accueillies par les quelque 6 000 associations existantes à travers la France. Un bilan qui s’est encore alourdi en 2023 avec une hausse de 9 % par rapport à l’année précédente.
Cette hausse de la précarité est visible, non seulement par l’accroissement du nombre de demandes, mais aussi par l’hétérogénéisation des demandeurs. “Maintenant, nous accueillons beaucoup plus de retraités et de personnes actives. Même des étudiants commencent à frapper à notre porte” livre Sauhade. Selon une enquête de l’association d’aide alimentaire Linkee menée sur les années 2022 et 2023, trois quarts des étudiants ont moins de 100 euros de «reste à vivre» par mois, soit moins de 3,33 euros par jour. C’est-à-dire pour se nourrir, se soigner, s’habiller et se cultiver.
<< La ville a besoin des épiceries solidaires mais elle ne les aide pas >>
Pendant que les besoins se font de plus en plus grands, les aides publiques sont jugées insuffisantes par l’association. “Nous avions fait la demande de subventions communales auprès de la mairie, mais elle n’a pas donné suite” raconte Nelly. Elle poursuit “En plus, la mairie redirige des familles vers l’association”. Une situation qui est vécue comme une injustice pour la bénévole : “La ville a besoin des épiceries solidaires, mais elle ne les aide pas !”. La supérette achète elle-même des produits qu’elle vend à perte. Sans plus d’aides publiques ou mécénats, la pérennité de l’association est remise en cause.
“C’est un sujet complexe. Nous sommes conscients que c’est difficile”, admet Whalid Allam, maire adjoint Europe Écologie Les Verts en charge de la solidarité alimentaire. “Nous mettons les locaux gracieusement à disposition de l’épicerie”, fait-il remarquer. “Une enveloppe de 5 000 euros annuels est également allouée à toutes les épiceries solidaires de la ville”. En tout, ce sont 25 000 euros qui sont annuellement mis à disposition aux 5 associations de ce type par la commune de Saint-Denis.
<< C’est un lieu de rencontre et de partage >>
Au-delà de la vente alimentaire, l’épicerie Marhaba offre aussi un espace d’accueil. Nelly témoigne de l’importance de cet espace pour permettre aux gens de se sentir moins isolés : « C’est un lieu d’échange, un lieu où on prend le temps de discuter avec les gens. C’est un lieu de rencontre et de partage ». La détresse dans laquelle vivent ces personnes n’est perceptible que si on prend le temps d’entrer réellement en contact avec elles, rappelle la présidente : “À première vue, on ne se rend pas compte de leur précarité. Elles ont beaucoup d’honneur et de dignité.”
Une étude menée par le Crédoc en novembre 2022 révèle que 52% des personnes en situation de précarité alimentaire n’ont pas recours aux aides alimentaires. La honte et la gêne sont les principaux freins, 35% des personnes concernées ont déclaré ne pas y recourir pour ces raisons. Pour Nelly, c’est en cela que l’association trouve tout son sens : “Beaucoup de personnes n’oseraient pas aller aux restos du cœur… Il est plus gratifiant pour elles de pousser la porte d’une épicerie solidaire et de dépenser un peu leurs sous.”